Le drame de 1940 by André Beaufre (Général)

Le drame de 1940 by André Beaufre (Général)

Auteur:André Beaufre (Général) [Beaufre, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Seconde Guerre Mondiale
Éditeur: Perrin
Publié: 2020-05-05T09:12:53+00:00


Cette pérennité de la Russie s’imposa aux délégations française et anglaise dès leur arrivée à Moscou. La réception offerte par le maréchal Vorochilov91 aux délégations alliées allait, elle aussi, montrer qu’il n’y avait rien de changé. Les délégations étaient allées saluer le Maréchal à son bureau – bureau moderne dans une vieille bâtisse administrative, très semblable à celles des états-majors français – et il y fut convenu que la première séance aurait lieu le lendemain à la Spiridonovka, où le soir même, le Maréchal serait heureux de recevoir les membres des missions française et anglaise.

La Spiridovka s’appelle aussi la maison Frountze, du nom d’un général très populaire – prédécesseur du maréchal Vorochilov – qui l’habita. Comme ce général semblait dangereux, qu’on n’osait cependant pas l’arrêter, on le persuada qu’il devait être opéré, et on le tua, paraît-il, sous le chloroforme. Cette maison, ancien palais d’un riche négociant, sert actuellement à la réception des personnalités étrangères.

Un vestibule élevé conduit à la salle à manger, pièce royale en faux gothique, ornée d’une cheminée monumentale et d’un plafond de chêne copié sur celui de Westminster. Une table en fer à cheval de cinquante couverts y était dressée selon les meilleures traditions. La vaisselle et l’argenterie étaient aux armes du tsar. Les délégations, revêtues de leurs uniformes les plus brillants (les Français n’avaient apporté que du kaki), prirent place autour de la table. Le maréchal Vorochilov et ses adjoints avaient une tenue de flanelle blanche impeccable. Le maréchal Boudienny92, le Murat soviétique, portait une paire de bottes magnifiques. Le banquet dura près de trois heures et fut remarquable de bout en bout, tant par la qualité des mets et des boissons que par l’excellence du service. Tout au plus pouvait-on regretter que les valets fussent habillés en garçons de restaurant pour servir un repas de cette classe.

Après le dîner, que la vodka avait rendu très cordial, le cortège militaire se transporta dans le salon de musique, grande pièce blanche copiée sur Versailles, avec un magnifique parquet incrusté, mais trop violemment éclairée. À la demande du Maréchal, chacun prit place sur les sièges placés de chaque côté et au fond de la pièce, formant ainsi autour du salon trop blanc un fer à cheval d’uniformes, de croix, de cigares et de digestions rubicondes que n’aurait pas désavoué un caricaturiste antimilitariste. En face et très ému, un petit vieux vêtu d’un smoking datant comme lui d’avant la Révolution, vint annoncer dans les trois langues les artistes qui allaient se succéder. Le concert qui suivit fut remarquable par le talent exceptionnel de chacun, comme par les efforts vestimentaires déployés pour la circonstance : le smoking s’associait aux chaussures de drap gris ou à la chemise de couleur, une chanteuse vêtue d’une robe longue qui paraissait provenir d’une petite cour allemande du siècle dernier semblait à l’avant-garde de l’élégance nouvelle, tandis qu’une violoniste d’un tempérament d’ailleurs exceptionnel, vêtue en tenue de tennis et les cheveux coupés ras, représentait le chant du cygne de l’élégance spartiate de l’époque du premier plan quinquennal.



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